J-8
Aujourd’hui nous n’aurons pas de vent, et nous l’avons anticipé. Nous prendrons le temps de dériver à 0,5-1nds, de se baigner, de buller tout simplement.
La baignade est étrange, on ressent plus que jamais la masse d’eau environnante et sous nos pieds (5000m), même si l’eau est limpide d’un bleu profond, on sent clairement le poul de l’océan qui bat au rythme de cette longue houle qui passe et soulève les corps immergés.
Nous ne mettrons pas le moteur pour faire des miles puisqu’il n’y a aucune urgence, alors nous profiterons de ce temps très particulier de calme au milieu de rien, et appellerons nos familles.
Nous aurons profité de ces moments sans vent environ 36 à 48 heures sur la transat, le vent doit revenir demain et ne plus faiblir, les pronostics de jour d’arrivée commencent à fuser.
Audrey : Je me lève réveillée par le moteur pour remonter un peu les batteries, et le capitaine a décidé de reculer d’une heure, il est bien trop tôt mais je vais avoir une longue matinée pour cuisiner, c’est top.
Je me lance dans une fougasse au levain à l’ail, à l’huile essentielle de romarin et du pain de mie pour terminer les restes, faute de poisson ! Ce sera la seule et unique déception de cette transat. Il nous reste quelques jours mais je n’y crois plus 😉
A 9h il fait déjà très chaud, comment vais-je tenir aux Antilles ?! Hop on décide de faire un plouf, qui se répétera plusieurs fois dans la journée jusqu’au soir. Quitte à ne pas avoir de vent autant en profiter.
J’ai appelé mes grands-parents du milieu de l’Atlantique, c’est incroyable !
J-9
Hier soir nous avons affaler le Spi au milieu de la nuit, ayant un nuage menaçant, sans orage devant nous. C’est la première fois que nous avons la pluie… nous prenons « ceinture-bretelle » ne sachant pas comment le vent se comporte sous ce nuage… .
Finalement rien à signaler, nous resterons tout de même sous génois le reste de la nuit et avancerons doucement.
Au petit matin nous hissons la GV qui se reposait depuis une semaine ! et envoyons à nouveau le Spi, le but étant de pouvoir affaler ce dernier et repasser au génois pour la nuit.
La bôme tape beaucoup sous la houle de 2,5m 3/4 arrière et cet inconfort sonore m’irrite… d’autant plus que le Spi se noue à deux reprises !
Si le temps reste stable nous affalerons peut-être pour rester sous Spi seul… tellement confortable.
Nous avançons à 6nds par ce vent assez instable… je suis déçu, je pensais relancer la machine après notre brève d’hier… il est prévu que les alizés reprennent leur pouvoir dans les 48 heures selon les positions dans l’Atlantique !
Les départs de Mindelo doivent être nombreux en ce 10 décembre pour profiter de cette nouvelle fenêtre ! Nous reverrons probablement tout le monde autour de noël au Marin. Après notre escale de quelques jours à la Barbade, nous aurons une navigation de 100 miles environ jusqu’en Martinique.
La nuit approche. Tous les pronostics (adultes et enfants) concernant la date et l’heure d’arrivée sont lancés avec la bateau copain les NILS qui sont à quelques miles.
YEOMA est plus nord et plus ouest, ils seront surement à St Martin 24-48heures avant notre arrivée à la Barbade, ils ont dû pousser l’OUTREMER-51 à la performance dans ce petit temps car leur co-équipier avait un vol à prendre.
Audrey : petit coup de mou de mon côté, le Capitaine ayant la responsabilité de l’équipage, s’est emballé subitement en voyant le nuage se rapprocher, alors que j’alertais depuis plusieurs minutes.
Bref je me rends compte que tout n’est pas toujours rose en mer non plus, la communication, le self-control, les principes de sécurité sont trop vite oubliés…
Aujourd’hui je trouve le temps long, surement parce qu’on a repris les conditions de navigation, sans avancer aussi vite que prévu.
Les textiles du bateau ainsi que les draps sont moites, imprégnés de transpiration et d’embruns. Nous avons beau les aérer ou les rincer, ça ne change rien. Il fait chaud et humide, tout le temps et nos corps subissent un peu.
J’ai hâte d’arriver.
J-10
Ce jour sonne les 2/3 de la traversée.
Le vent s’est levé ce matin 15-20nds, Sail and Surf file vers l’ouest à 6-6.5nds sous GV-1 ris et Génois.
La journée commence après le petit déjeuner par un peu de ménage…quasi-quotidien…à 8 avec nos deux co-équipiers : vaisselle, sols, sceau d’eau à l’extérieur, lessives, panneaux solaires pour optimiser leur efficacité ! Un petit tour dans la calle moteur.
Aujourd’hui avec le vent, la mer s’est levée légèrement avec une houle de 2,5m. Les enfants le ressentent et sont plus las que les jours précédents, puis peu à peu le rythme lancinant met tout le monde au pas et tout se passe comme si nous étions à terre.
Les enfants reprennent leurs cahiers, j’écris un article technique pendant plusieurs heures sur le NEEL 43, Audrey cuisine. Je loupe à nouveau une daurade coryphène…en plus d’un manque de leurre, j’ai clairement un manque de chance… je vais remédier à tout cela aux Antilles !!!
Le point d’arrivée de la transat (Carlisle bay – Barbados) est entré dans le système de navigation, il reste 5 à 6 jours maximum, il faut rester concentré… et ne pas être arrivé dans sa tête avant de l’être vraiment !
Une journée de plus s’écoule paisiblement, lecture, écoute de plusieurs albums (Joe Dassin, Gilbert Bécaud, Georges Moustaki, Vincent Delerme).
Audrey : après une matinée de ménage, le moral va mieux ! Je commence à m’intéresser aux voiles, avec l’envie d’améliorer les performances pour arriver plus vite!
J-11
Nous empannons de bon matin peut-être pour la dernière fois… cap direct au 300deg vers la Barbade.
Nous passons la seconde et filons entre 6.5 et 7.5nds toute la journée par une houle assez longue mais pas trop…de 2,5m !
La routine continue école, repas, lectures, bain de soleil, nettoyage…
Tout l’équipage est en (grande) forme et commence à compter les miles et les jours restants afin d’affiner le pronostic d’arrivée, mais sans trop se projeter encore.
Nous revoyons les films de notre mariage avec les enfants.
En fin de journée dans l’immensité de l’Atlantique, nous croisons les NILS qui avait empanné sur l’autre amure ! Nous tentons un contact VHF…vain.
Le bateau copain WILL SEA THE WORLD resté à Mindelo a dû prendre la mer hier ou aujourd’hui, nous pensons bien à eux et les reverrons en Martinique d’ici 2 semaines.
La journée se termine avec des crêpes et la fin du livre « une brève histoire du temps – du big bang aux trous noirs » de Stephen W. Hawking, dont voici la dernière phrase qui conclut : « – pourquoi l’univers et pourquoi nous existons – Si nous trouvons la réponse à cette question, ce sera le triomphe ultime de la raison humaine, à ce moment, nous connaitrons la pensée de Dieu »… à méditer….
Audrey : on a lancé les paris sur la date d’arrivée avec le bateau Nils.
J-12
Audrey ne me lâche pas depuis 48 heures… une moyenne de 6nds… « on peut mieux faire » !
Aurait-elle subitement envie d’arriver ?… Difficile de gérer ses émotions à 72 heures de l’arrivée ?
Nos copains les NILS sont juste derrière puis juste devant, nos traces se croisent au grès de nos derniers empannages !
Okayyyyyy – 16:00 je cède et nous manœuvrons pour affaler la GV, rouler le Génois, puis envoyer le SPI avant la nuit .
Nous filons à présent à 8-10 nds avec un surf à plus de 17nds !!!
Nous allumons le radar pour prévenir des gros grains qui nous obligeraient à affaler, ou changer de direction…, et surveillerons en visuel les orages éventuels – aucun à ce jour depuis le départ, mais nous sommes à présent bien sud et proche du continent américain…c’est une zone propice, nous le savons, nous restons vigilants !
La nuit va tomber, saucisses (allemandes) avec moutarde/ purée / lentilles nous régalent !
Audrey : je crois que j’ai un peu trop insisté, je regrette. Les sensation entre le spi, la vitesse, la houle et la mer du vent sont dures dures. On avance vite mais au prix d’un réel inconfort. Et puis la nuit tombant je stresse un peu, des idées noires me passent par la tête.
Je digère très mal ces saucisses, moi qui n’en fait jamais, nous sommes sur la fin fin de nos stocks, et, avec ces conditions, la flemme de cuisiner commence à nous prendre.
La fin de cette traversée est clairement compliquée pour moi.
J-13
Bilan du Spi et de la nuit… Audrey avait raison 😉 vitesse moyenne : 8.5nds – vitesse maximale : 18.5nds (surf)… une assiette cassée ! et une mauvaise nuit car avec la houle, le vent et le Spi, le bateau prenait de fortes accélérations en surfant sur un flotteur puis l’autre. Le pilote me fascine depuis le départ, dans le petit temps évidemment tout parait facile, mais quand cela se corse on se rend compte de la fiabilité de cette technologie !
Nous restons toute la journée sous Spi avec un vent apparent maximum de 15nds (qui est notre limite) avant que le vent ne monte, vers 15:00 nous passons à 25-30nds de vent réel et 20nds d’apparent.
Impossible d’affaler le Spi une fois l’écoute choquée (trop de vent), nous déroulons rapidement le génois pour déventer le Spi… après s’être légèrement brulé les mains (malgré les gants) en retenant le bout pour affaler la chaussette du Spi.
Nous restons sous Génois seul pour la nuit et verrons demain. Sail & Surf file tout de même à 6-8nds, ça souffle dehors !
Une grande nous fait des crêpes, nos coéquipiers préparent un repas lyophilisé : pâtes au bolets… c’est une première pour tout le monde !
Il reste moins de 72heures (380miles), on s’informe sur le mouillage de Carlisle Bay, la clearance, on se met à rêver de photos aux eaux turquoise et de plongeons !
Nous sommes presque au bout et pensons fort aux copains WILL SEA THE WORLD qui sont partis le 10-décembre, PAOLOUP et à l’océan devant eux.
Audrey : nuit quasi nulle, j’ai eu l’impression de dormir dans le train de la mine d’un parc d’attraction : vibrations, plongeons dans le vide, remontées et replongeons…
Forcément je me lève de mauvaise humeur ;), j’ai juste envie que ça s’arrête.
Le capitaine me dit qu’on va tenter le spi jusqu’au soir pour gratter quelques miles. Je prévois donc ma journée affalée dans le carré. J’en ai super marre. Un peu comme les derniers jours avant d’accoucher, on connait la date prévue mais on espère être délivrée avant !
Pendant mon quart, j’aperçois un cargo de 200m de long tout droit vers nous. Il annonce un passage très très proche dans 1H30. Je suis de près en me disant qu’il va forcément dévier mais que néni. Le stress monte, entre fierté de ne pas vouloir réveiller le capitaine et me débrouiller seule et le stress total de passer si proche. A 45min je réveille capitaine, tant pis pour ma fierté. Je suis déjà prête à décrocher la VHF pour engueuler le capitaine du cargo et lui dire de déguerpir. Christophe me rit au nez en me disant qu’il n’en aura rien à faire et que je suis 0 crédible. Ca fait 30 minutes que je me fais la scène en solo, ah ah ah !
Il me dit de continuer à suivre, de scruter l’horizon, mais que 0,5 – 1 mile c’est suffisant !
Je sors et je vois plein de poissons volants agonisants…, beurk. Alors à la lumière de l’iphone, je grimpe vite vite au poste de barre. Je me revois à 7 ans quand j’avais peur des monstres sous mon lit !! Ca y’est j’aperçois les lumières du Cargo au loin, par intermittence entre les vagues de 2,5m…. Je décide de camper là en attendant de le voir passer (en serrant les fesses).
Finalement il passe par l’arrière assez loin.
Sur un ton plus léger, j’essaie de me tenir à faire des respirations / abdo hypopressifs pendant mes quarts. C’est THE bonne idée pour faire du renforcement facilement en navigation. Avez-vous déjà essayé ?
J-14
Après une bonne nuit de sommeil ; pas Audrey visiblement qui râle et VEUT arriver… j’avais anticipé et préparé le Spi pendant la fin de nuit !
Dès son réveil on l’envoie… on passe de 6.5nds à 8.5nds et on recalcule notre arrivée pour que tout le monde se projettent.
A ce rythme ce serait le 16 décembre à Carlisle Bay en fin de journée, espérons que la météo suive.
L’avant dernière journée se passe calmement, la houle de 2,5m s’est un peu rangée, le bateau roule moins.
École, jeux de société, guitare, lecture, rangement et sieste bien sûr !
Après un bon plat de lasagnes aux légumes, nous regardons le dernier de la série Pirates des Caraïbes pour finir de se mettre dans l’ambiance!
Il reste 150miles !
Audrey : encore une journée semblable aux quelques dernières, je suis en mode roue libre. En tout cas je suis ravie d’être partie le 1er décembre et d’avoir eu ces quelques jours de pétole. Cela restera un souvenir mémorable de la traversée ces baignades et ce temps suspendu au milieu de l’Atlantique, et pour les enfants aussi.
Je me demande ce qu’il a bien pu se passer en 15 jours… Je suis partagée entre curiosité et envie de rester dans cette bulle. Vais-je rallumer mon téléphone de suite ?
J-15
Aujourd’hui fut la journée la plus rapide de la Transat mais aussi depuis que nous avons Sail and Surf (5500 miles parcourus) : plus de 9nds de moyenne en 24 heures, sous Spi par 20-25nds de vent.
J’ai parfois cru devoir affaler, le bateau filer, vite, très vite dans la houle Atlantique de 2.5m.
Finalement seules les deux poulies d’écoute de Spi ont été légèrement endommagées, mais nous n’avons affalé qu’à l’arrivée escorté par une vingtaine de (grands/gros) dauphins filants entre les coques ou sous l’étrave… un vrai spectacle.
Deux ans tout pile après notre tout premier cours de voile en famille fin décembre 2020… Deux ans tout pile après avoir imaginé ce projet… après l’avoir rêvé…
Et comme dit le proverbe : « suivez vos rêves, ils connaissent le chemin »…nous avons donc TRANSATé !
Nous sommes très fiers des enfants, ils ont été exceptionnels durant ces 15 jours en mer, de vrais aventurières et petit marin au long cours.
Et Audrey qui a tenu la barre tout du long d’une main de fer !
Mais dans quel univers spacio-temporel avons-nous voyagé, coupé pour ces quelques jours du monde, de la civilisation ? Que s’est-il passé… ?
Ce sera pour demain… ne revenons pas trop vite, comme les plongeurs, par paliers.
Est-ce à présent le premier jour du reste de notre vie ?!
Audrey : rien à dire, trop contente d’être arrivée et en même temps un peu nostalgique de ces 15 jours hors du temps. Les Nils doivent arriver demain matin, on aura réussi à faire toute la traversée avec eux, on a juste choisi d’accélérer sur la fin… parce que j’avais trop hâte !!
Vivement demain, poser le pied à terre et de les retrouver pour fêter ça ! Incroyable de se dire que nous avons traversé l’Atlantique. On pense fort à aux bateaux copains qui nous rejoindront prochainement.